18 déc. 2008

L'adoption trébuche à l'école

L'école se convertie en deuxième grand obstacle pour l'adaptation des adoptés - La moitié ont des problèmes d'apprentissage.

Traduit de l'article La adopción tropieza en la escuela de Inmaculada de la fuente, publié sur le site El País, le 4 mars 2008.

"Aujourd'hui, tu ne joues pas russote!"; " Qu'est-ce que tu regardes négro?" (Note du traducteur: negro veut simplement dire noir en espagnol. La traduction ici est plus forte avec "négro" en français. Mais c'est sans doute ce que ces gamins auraient utilisé s'il existait l'équivalent en espagnol.) Ceux qui parlent ainsi ne sont pas des adultes, ni des xénophobes cachés dont le langage trahit. Ce sont des gamins du primaire qui s'adressent à leurs camarades, des espagnols adoptés et nés en Russie, en Inde, en Colombie ou en Éthiopie. Ce n'est pas général: dans un établissement privé de Madrid, il y a quelques mois, on a demandé aux élèves qui ils éliraient comme amis et une fille née dans un autre continent et de teint mat a obtenu un des indices les plus élevés de popularité. "Mais les réflexions racistes ne sont pas des choses exceptionnelles" - assure Javier Mugica , psychologue de la coopérative d'initiative sociale Agintzari à Bilbao.

L'école représente une véritable épreuve pour la majorité des enfants adoptés, le deuxième grand obstacle, une douane inattendue à franchir après être déjà à l'intérieur des frontières. Pour beaucoups, un deuxième processus d'adaptation une fois celui familial conclu.

De 1996, l'année où l'adoption internationale a été régie, à 2006, les Espagnols ont adopté plus de 35 000 enfants d'origine étrangère. Il n'y a pas de statistiques par âge mais un haut pourcentage de ceux-là suivent des cours dans les différents stades de l'éducation nationale obligatoire. Mais ces rois de la maison (Note du traducteur: En Espagne on qualifie généralement tous les enfants comme étant les rois de la maison. Il ne faut donc pas voir une qualification exclusive aux adoptés ici.) connaissent divers sorts en arrivant dans les classes. "C'est une loterie"- affirme Javier Mugica. Dans beaucoup de cas l'intégration est fluide et l'établissement endigue bien le défaut de base de l'enfant récemment arrivé avec des renforts. Dans d'autres cas, les réticences de certains professeurs et les bagarres avec d'autres enfants débouchent sur un isolement. En fin de compte, l'enfant ne démarre pas dans ses études , les professeurs s'épuisent et certains élèves profitent là de sa basse estime de soi ou de ses incapacités pour le dominer.

"Plus de 70% des consultations que l'on reçoit ont un rapport avec l'environnement scolaire", reconnaît Lila Parondo, responsable d'Adoptantis, un service d'orientation pour des parents adoptifs subventionné à 50% par la région autonome de Madrid (Note du traduteur: L'Espagne est un ensemble de dix-sept régions très autonomes avec des parlements, des lois, des polices... très différentes entre elles.) Par ce service, sont passées environ 180 familles. Dans le même temps, Adoptantis a relevé les expériences d'autres parents adoptifs au travers d'une enquête qui a rassemblé 160 témoignages. Les résultats montrent ce fait: 46% des enfants vivent avec difficulté le processus d'adaptation scolaire. Autrement dit, le système scolaire échoue là.

Il écoute mais ne comprend pas. Ou il déconnecte en peu de minutes et se met à dessiner. Où est le cahier d' espagnol? Que doit-il écrire? Qui sait? Dans son sac à dos, il y a un harmonica, un jeu de soldats, un hélicoptère et un œuf d'où sort un dragon. Ce sont ses trésors. Il sait qu'il ne peut pas les emmener à l'école mais lui ne se sépare jamais de ses jouets. Il a huit ans, comme ses compagnons de 3ème année de primaire, mais n'importe qui dirait à ce moment là qu'il n'en a pas sept, ou six. Un des professeurs déclare avoir la dispersion de quelques adoptés d'Europe de l'Est. Que lui arrive-t-il vraiment? Doit-il poursuivre le cours qui correspond par âge à cet enfant de six ans qui est arrivé à quatre ans avec un vocabulaire exigu de son ancienne langue, qui a appris la nouvelle à la hâte et qui sait à peine écrire? Devant un tableau plein de signes totalement familiers pour ses camarades et pour lui illisibles, le gamin panique.

"En maternelle, on ne remarque pas les difficultés: le niveau d'exigence est moindre et chaque enfant manifeste son propre rythme. C'est en Primaire qu'elles apparaissent: elles ne sont pas toujours dues à un manque de faculté. Le fait d'avoir vécu ses toutes premières années dans une institution, son développement est plus lent", dit Mugica. C'est ce que des psychologues appellent "un déficit cognitif accumulé" (Note du traducteur: En Espagne, comme dans la majorité des pays occidentaux maintenant, la psychologie en vogue est cognitiviste et/ou comportementaliste. Il n'y a pratiquement qu'en France, peut-être parce que c'est le pays de Lacan, qu'elle est restée très ancrée dans une vision analytique des choses.) Ce retard se rattrape assez rapidement en vivant en famille, mais pas toujours complètement. Mieux vaut ne pas fixer d'échéance. Des experts estiment approximativement qu'il y a un mois de retard pour quatre passés dans un orphelinat (Rappel du traducteur: dans les toutes premières années de la vie.) Cela dépend de chaque enfant encore.

Ce n'est pas facile. Dès qu'il arrive, il trouve trop de stimuli et d'énigmes autour de lui et le petit se sent parfois comme un martien. Ses parents l'ont peut-être emmené dans un école privée, peut-être bilingue. Peut-être qu'il occupe une place proche du professeur dans un établissement public. Mais l'enfant ne décolle pas, il est absent, ou joue trop, il ne comprend pas la langue de l'effort et n'est pas motivé par ces livres qu'il porte dans son cartable. Et là commence un chapelet de questions: il n'a pas un Q.I. suffisant? Il conviendrait mieux qu'il redouble et qu'on attende qu'il grandisse? En demande de réponses ou de preuves, débute alors un pèlerinage au cabinet du psychologique ou dans les centres d'orientation éducative correspondants. Quelques fois cette préoccupation est un révulsif pour détecter des problèmes auditifs ou visuels non détectés à l'arrivée de l'enfant... En soi, rien de différent de ce que font des parents avec des enfants peu studieux... à la différence qu'ils sont là souvent plus anxieux et déterminés à aller fouiller dans les racines du problème, à combler des carences et à récupérer "la normalité".

Ce sont des éponges. Certains sont extrêmement malins. En un an, peut-être même en quelques mois, ils apprennent le castillan (Précision du traducteur: la langue de la région de Madrid, celle qu'on appelle "espagnol" et qui se parle dans toute l'Espagne et toutes ses anciennes colonies... parmi d'autres langues locales) voire les deux langues officielles s'ils vivent en Catalogne, en Galice, au Pays Basque... Ceci dit "ce n'est pas pareil de parler en des termes familiers qu'étudier dans cette langue et apprendre des connaissances académiques", avertit Javier Mugica. Manipuler une console de jeu et ingurgiter des connaissances, ce n'est pas pareil. Il manque à certains des bases, de l'entrainement intellectuel. En définitive il leur manque du temps.

Adoptantis a élaboré un guide pour familles et éducateurs (Adopter, intégrer, éduquer) en collaboration avec l'institut madrilène du mineur et CORA (Coordination des associations de défense de l'adoption et de l'accueil). A partir des réponses des familles qui accourent au service ou qui ont participé à leur enquête, on remarque que 89% des enfants sont incorporés aux cours qui leurs correspondent selon l'âge, et qu'une fois en classe 43% recherchent l'attention du professeur de manière constante.

Concrètement, 27% interrompent très fréquemment le déroulement des cours ou font le pitre. Parallèlement, 35% des parents consultés signalent que leurs enfants dominent de suite la langue mais qu'ils éprouvent des fois beaucoup de difficultés à comprendre des concepts.

La violence envers leurs compagnons est minoritaire (8%)... Certains perdent le contrôle d'eux-même pendant la récréation, et se montrent ou on les taxe de perturbateurs, ou ils s'en prennent au matériel de classe, selon les familles. 25% ont vécu des situations de harcèlement ou de rejet de la part de camarades à cause de l'adoption même ou à cause de leur appartenance à une race différente.

José Antonio Reguilon, spécialiste en placement familial et adoption, souligne que le problème scolaire est présent dans de nombreuses histoires qui passent en consultation, en tant que cause ou conséquence. "Dans les premiers moments de l'adoption, ils viennent réceptifs, il y a un désir de s'intégrer dans un environnement familial. Parents et enfants convergent et se produit une idylle: J'ai ce dont tu as besoin, arrivent-ils à se dire. Mais rapidement apparaissent des perspectives: parents et professeurs attendent quelque chose de ces enfants qui eux ne savent pas interpréter", analyse Reguillon. Autour de cette confusion reviennent constamment des sentiments d'abandon, de détresse, de perte de quelque chose... "Il y a en eux un besoin de savoir et de comprendre ce qui leur est arrivé et on ne leur donne pas le temps pour çà", ajoute-t-elle.

"Ces enfants ne viennent pas de Barajas" (l'aéroport de Madrid), rappelle Lila Parrondo. Leur biographie démarre plus loin. Et il n'y a aucune adoption qui ressemble à une autre." La première fille n'a pas eu de difficultés. La deuxième est allée dans la même école et a eu besoin de suivre un spécialiste du langage, elle est plus lente", explique un père madrilène à propos de ses filles de la Chine. "Il est évident que chaque enfant est différent. Les adoptés n'ont pas de raisons d'être plus conflictuels. Je connais des enfants biologiques qui sont devenus insupportables à l'adolescence. Mais moi, j'ai une fille biologique et un fils adopté et ce dernier me demande plus de travail", explique une mère avec une fille adolescente et un garçon en Primaire. "Avec lui, je dois davantage m'activer", ajoute-t-elle.

"Il faut faire quelque chose avec cet enfant. Il n'obéit pas aux règles, il tape sur d'autres enfants... " évoque Lila Parrondo. Les parents ne reconnaissent pas quelques fois leur enfant dans le portrait que leur présentent les professeurs. A la maison, un adulte, souvent deux, lui indiquent des limites, sa vie est organisée. A l'école, le professeur a plus de vingt élèves, voire trente, et il ne peut s'adresser à lui à chaque moment.

Pour capter l'attention du professeur le petit se manifeste, il interrompt le cours ou fait le clown, il veut que le maître lui explique en particulier ce qu'il vient d'écrire au tableau. Il pense que si les autres enfants rigolent c'est parce qu'ils l'apprécient. Pire encore est le vide, la solitude, la tristesse.

Parrondo pense que les parents brûlent les étapes dès le départ en débutant une scolarisation peu de jours après l'arrivée de l'enfant. "Ils sentent le besoin de tout normaliser mais une intégration progressive est mieux, que l'enfant se sente sûr", ajoute-t-elle. En outre elle s'interroge sur le système scolaire par âge, et demande de la flexibilité pour que l'enfant puisse se trouver à un niveau antérieur à celui qui lui correspond normalement là, ou qu'il puisse redoubler. L'important est d'éviter "un bras de fer entre le professeur et l'enfant" qui se répercute dans la vie familiale provoquant un malaise, pense Parrondo. "Si on n'y coupe pas court, naissent alors les mensonges et les stratégies pour contourner des devoirs et des obligations" - ajoute-t-elle.

Comme Parrondo, Mugica mise sur une adaptation du système éducatif au petit de sorte que tout l'effort ne repose pas sur ses petites épaules. "Légiférer est complexe, mais il est nécessaire de baisser le niveau et de s'orienter par étape de maturité et non pas par étape chronologique". Et il avertit: " Il ne faut pas se laisser emporter par les caractéristique de l'école. Quelques fois, plus elle est élitiste et pire c'est, parce que les snobs sont les parents et non pas leurs enfants... Il faut chercher des professeurs engagés, de petits centres d'éducation personnalisée ou d'ambiance familiale" -ajoute-t-il.

Javier Mugica insiste sur le fait que l'adopté a été avant un enfant abandonné et qu'il faut soigner cette blessure. "Ils sont nés avec un handicap", répète-t-il "et bien qu'ils ne soient pas des enfants pour l'éducation spécialisée, ils ont, pour certains au moins, des besoins spécifiques. Par ignorance ou par insensibilité, par contre, l'école au lieu de soigner renouvelle cette sensation de perte", continue-t-il. Il y a une certaine tendance à considérer nombre d'entre eux comme des porteurs de problèmes ou des hyperactifs (Et peut-être bien qu'il y en a), mais Mugica soutient que ces symptômes reflètent que c'est "un enfant touché d'un point de vue émotionnel". En général le petit enfant s'adapte mieux dans son nouveau foyer, -poursuit-t-il, "mais d'un point de vue émotionnel, l'important ce n'est pas l'âge mais bien les liens établis dans les premières années de la vie". Parrondo, d'autre part, assure qu'il n'est pas rare que certains enfants se montrent comme déstabilisés ou inquiets: "On leurs offre constamment des stimuli et on leurs propose un style de vie hyperactif". Les parents doivent être réalistes dans leurs objectifs et abandonner des rêves, conclue-t-elle.

Note: Traduit par Greg

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