Dans le texte The Lie We Love, E. J. Graff parle de l'histoire de l'adoption internationale: des millions de nourrissons et de tout-petits abandonnés ou rendus orphelins à cause du sida, du dénuement ou de la guerre qui attendent d'être sauvés par les parents occidentaux.
Selon l'auteur, cette histoire est largement une fiction. Un grand nombre de nourrissons et des tout-petits qui sont adoptés par les occidentaux ne sont pas du tout orphelins. Certes, il y a des milliers d'enfants qui ont besoin de foyers aimants dans le monde entier, mais ces enfants-là ne sont pas adoptés parce qu'ils sont malades, handicapés, traumatisés ou âgés de plus de 5 ans, ils ne sont pas des bébés en santé que les occidentaux espèrent adopter. Comme il n'y a pas de nourrissons adoptables en santé pour répondre à la demande de l'ouest, les agences d'adoption internationale travaillent, non pour trouver des foyers pour les enfants dans le besoin, mais pour trouver des enfants pour les foyers.
Les potentiels parents adoptifs des États-Unis vont payer les agences d'adoption entre 15 000$ et 35 000$ (excluant les coûts du voyage, du visa et de divers autres frais) pour la chance de ramener un petit. Les enfants plus âgés ou avec des besoins spéciaux peuvent être adoptés à rabais. Les agences prétendent que les frais paient les frais d'agence, le coût des opérations et des salaires à l'étranger, le personnel du voyage, et les dons versés aux orphelinats. Mais ces frais sont si disproportionnés pour le pays d'origine de l'enfant qu’ils encouragent la corruption.
Alors que l'adoption internationale est devenue une industrie dirigée par l'argent, elle est également chargée de fortes émotions. Beaucoup d'agences d'adoption et de parents adoptifs insistent avec passion sur le fait que les pratiques malhonnêtes ne sont pas systématiques, mais des cas tragiques et isolés. Arrêtez les méchants, disent-ils, mais laissez les "bonnes" adoptions continuer.
Nigel Cantwell, un consultant basé à Genève pour la protection d'enfants, a vu la dangereuse influence de l'argent sur les adoptions en Europe de l'est et en Asie centrale où il a contribué à réformer des systèmes d'adoption corrompus. Il dit que dans ces régions, des enfants en bonne santé âgés de 3 ans et moins peuvent facilement être adoptés dans leur propre pays. L'auteur lui a demandé, combien de bébés en bonne santé dans ces régions seraient disponibles pour l'adoption internationale si l'argent n’était pas échangé. "Je hasarderais à dire zéro" a été sa réponse.
Près de la moitié des 40 pays répertoriés par le Département d'État des États-Unis comme étant en tête de sources pour l'adoption internationale au cours des 15 dernières années ont mis fin à l'adoption au moins temporairement ou ont été empêchés d'envoyer les enfants aux États-Unis en raison de graves corruptions.
L'adoption internationale qui avait débuté dans un but humanitaire après la guerre de la Corée du Sud, est devenue aujourd'hui une industrie dirigée par l'argent. "Ce n'est pas vrai qu'il y a un grand nombre d'enfants sans foyer ou qui seront en institution ou qui ont besoin de l'adoption internationale." dit Alexandra Yuster, une consultante principale sur la protection des enfants avec l'UNICEF. Cette affirmation va à l'encontre de l'histoire qui a longtemps été commercialisée aux Américains et aux autres Occidentaux qui ont été formés à penser - par les images de la misère dans les pays en développement et l'apparent flot sans fin des filles en provenance de la Chine - que des millions de bébés orphelins dans le monde ont désespérément besoin de foyers.
L'UNICEF lui-même est en partie responsable de cette hypothèse erronée. Les statistiques de l'organisation sur les orphelins et les enfants placés en institution sont largement citées pour justifier la nécessité de l'adoption internationale. En 2006, l'UNICEF a estimé le nombre d'orphelins à 132 millions en Afrique sub-saharienne, en Asie, en Amérique latine et les Caraïbes. Mais la définition de l'organisation du mot "orphelin" inclut les enfants qui ont perdu un seul parent, soit par la désertion ou soit par le décès. Seulement 10 pour cent du total - 13 millions d'enfants - ont perdu leurs deux parents, et la plupart de ceux-ci vivent avec la famille élargie. Ils sont également plus âgés: selon la propre estimation de l'UNICEF, 95 pour cent des orphelins sont âgés de plus de 5 ans.
En d'autres termes, les "millions d'orphelins" de l'UNICEF ne sont pas des bébés en bonne santé voués à la misère institutionnelle à moins que les occidentaux les adoptent et les sauvent. En revanche, la plupart sont des enfants vivant avec des familles élargies qui ont besoin de soutien financier.
Même la Chine qui a créé des filles disponibles pour l'adoption en raison de la politique (maintenant relâchée) de l'enfant unique a un flot fini de filles; la Chine a plus de parents étrangers qui veulent adopter que d'enfants à donner. La difficulté à adopter dans ce pays a emmené de nombreux parents prospectifs à faire le tour du marché pour un pays qui met moins de barrières entre eux et leurs enfants.
L'un de ces pays a été le Guatemala qui, en 2006 et en 2007, a été le 2ième exportateur d'enfants vers les États-Unis. Entre 1997 et 2006, le nombre d'enfants guatémaltèques adoptés par des Américains a plus que quadruplé, à plus de 4500 par année. Selon Kelley McCreery Bunkers, une ancienne consultante de l'UNICEF du Guatemala, "Le Guatemala est un parfait exemple de la manière dont l'adoption internationale est devenue une demande axée sur les affaires." Le processus d'adoption du pays était "une industrie conçue pour répondre aux besoins des familles adoptives dans les pays développés, en particulier les États-Unis."
Parce que la grande majorité des enfants du pays placés en institution sont des bébés adoptables mais pas en bonne santé, presqu'aucun n'a été adopté à l'étranger. Une enquête menée à l'automne 2007 par le gouvernement du Guatemala, l'UNICEF et l'agence Holt International Children's Service, révèle environ 5 600 enfants et adolescents dans les institutions guatémaltèques; plus de 4600 de ces enfants étaient âgés de 4 ans ou plus; moins de 400 avaient moins d'un an. Les enfants adoptés ne provenaient tout simplement pas des institutions du pays. . L'année dernière, 98 pour cent des adoptions du Guatemala vers les Etats-Unis étaient des "abandons": les bébés qui n'avaient jamais vu l'intérieur d'une institution étaient cédés directement à un avocat privé qui approuvait l'adoption internationale - pour des honoraires considérables, sans révision d'un juge ou d'une agence de service social.
Le Guatemala est l'exemple extrême ayant la plus célèbre réputation de corruption mais ces mêmes tendances sont apparues dans dans des dizaines d'autres pays à de plus petites échelles.
Même les pays avec de grandes populations, comme l'Inde, ont rarement des nourrissons ou des tout-petits en santé qui ont besoin de parents étrangers. La grande classe moyenne en expansion de l'Inde, dans le pays même et dans la diaspora, font face aux problèmes d’infertilité comme ceux de leurs homologues dans les pays développés. Eux aussi sont à la recherche de bébés en santé.
Les documents juridiques ne garantissent pas qu'un enfant soit vraiment orphelin.
Dans plusieurs pays, il est étonnamment facile de fabriquer l'histoire d'un jeune enfant dans le but de fabriquer un orphelin. Les mères sont souvent pauvres, jeunes, célibataires, divorcées, ou autrement sans protection familiale.
Certains orphelins fabriqués viennent de ce que les occidentaux appellent "orphelinat". Ces orphelinats en fait servent beaucoup plus de pensionnat pour les enfants qui y trouvent nourriture, logement et éducation à cause de la pauvreté ou de la maladie des parents. En 2005, lorsque l’orphelinat Hannah B. Williams à Monrovia, Libéria, a été fermé en raison de conditions de vie choquant, 89 des 102 "orphelins" sont retournés à leurs familles. Beaucoup de familles rendent visite à leurs enfants, ou même les emmènent chez eux les weekends, jusqu'à ce qu'ils puissent rentrer chez eux de façon permanente. Au Vietnam, les paysans en particulier placent leurs enfants dans ces orphelinats qui sont en fait des garderies de longue durée.
Tout le long du texte, l'auteur donne des exemples spécifiques de cas de corruption dont quelques uns sont mentionnés dans ce blog.
E. J. Graff termine le texte avec une citation du document Child Laundering: How the Intercountry Adoption System Legitimizes and Incentivizes the Practices of Buying, Trafficking, Kidnapping, and Stealing Children écrit par David Smolin, un professeur de droit et militant pour la réforme de l'adoption internationale: "Credulous Westerners eager to believe that they are saving children are easily fooled into accepting laundered children - for there is no fool like the one who wants to be fooled." (Les occidentaux crédules désireux de croire qu'ils sont en train de sauver des enfants sont facilement trompés à accepter des enfants blanchis - car il n'y a pas plus dupe que celui qui veut être dupé).
Le titre du texte de E. J. Graff ainsi que les citations sont représentatifs des parents adoptifs et des parents potentiels. Pour s'en rendre compte, on n'a qu'à lire entre autres les commentaires des adoptants lorsqu'un journaliste rapporte des corruptions au Guatemala. En général, les adoptants disent que "Ce sont des cas isolés". Plusieurs des parents accusent les journalistes d'exagérer, les qualifiant d'irresponsables et malhonnêtes. La plupart des parents prennent ces reportages comme des attaques personnelles et "justifient" leur processus d'adoption ("The process included DNA testing", "I love my children").
L'article The Lie We Love de E. J. Graff a soulevé des commentaires semblables dans les forums/blogs des adoptants. Il y a cependant quelques exceptions, surtout parmi les adoptants qui ont adopté des enfants plus âgés capables de parler de ce qu'ils ont vu avant d'être adoptés.
Nul besoin d'aller à la recherche des commentaires des adoptants, certains viennent directement dans les forums des adoptés adultes. Même s'il est bien mentionné dans la liste des missions que le groupe a été créé en premier lieu par et pour les adoptés, certains viennent pour demander les procédures pour adopter. Comme ils ne trouvent pas d'appui et d'encouragement, beaucoup quittent pour partir à la recherche d'un autre groupe où on leur dira les mots qu'ils souhaitent entendre. D'autres restent pour rôder silencieusement. Certains attaquent les adoptés qui s'expriment, sans oublier de mentionner qu'ils aiment leurs enfants et que ceux-ci sont tout à fait heureux. S'ils n'ont pas encore adopté, ils disent: "J'ai des neveux qui sont adoptés et qui n'ont aucun problème et ils nous encouragent à adopter" ou alors "Les enfants adoptifs de mes amis sont heureux et bien adaptés" Encore une fois, il y a des exceptions, certains parents restent pour dialoguer ou pour apprendre davantage pour aider leurs enfants, expliquant parfois aux autres parents adoptifs.
D'autres trouvent une explication plausible à la colère et à la souffrance des adoptés: "Tu as dû avoir des expériences négatives dans ta famille adoptive". Un adopté n'a qu'à dire qu'il est contre l'adoption internationale pour s'attirer le titre "d'adopté en colère" ou de "angry adoptee".
Si un adopté a été abusé dans sa famille adoptive, alors ça explique tout; les adoptants sont soulagés d'avoir une explication. Leurs enfants n'auront aucun problème, ils ont été aimés et choyés.
Si un adopté répond qu'il a de très bons parents avec lesquels il maintient de bonnes relations, il s'attire alors le titre additionnel "d'adopté ingrat". Mais son titre d'adopté en colère reste pour le simple fait qu'il a exprimé des sentiments douloureux ou une opinion que les adoptants ne voudraient pas voir chez leurs enfants, avec raison.
Si une personne a été adoptée lorsqu'elle avait 10 ans, là encore, ça explique sa colère. Elle a une raison d'être frustrée, "moi, le mien a été adopté quand il était bébé".
Si un autre dit qu'il a aussi été adopté lorsqu'il était bébé, alors là, c'est encore un adopté en colère.
Pas étonnant qu'il y ait des groupes d'adoptés complètement fermés au public.
Avant de me pencher sur la question des adoptions, j'ai fait partie de la catégorie des "adoptés heureux" ou "happy adoptees" pendant plus de 25 ans. "Happy adoptee" signifie que j'avais une opinion favorable à l'adoption.
À moins qu'il n'ait une opinion favorable à l'adoption, l'opinion d'un adopté ne compte pas. Si la personne a été abusée dans sa famille adoptive, alors elle a de bonnes raisons de faire partie de la catégorie des adoptés en colère mais son opinion est certainement biaisée; tous ses sentiments sont le résultat des abus et non de l'adoption. Si la personne a eu de merveilleux parents adoptifs, c'est tout simplement un adopté en colère et ingrat. En d'autres termes, un enfant adopté, même devenu adulte, reste et restera un enfant incapable de réfléchir et de former son opinion.
Au lieu de lutter, les adoptés se sont appropriés les titres qu'on leur a donnés tels que "ungrateful angry adoptee", adopté ingrat et en colère, parfois même de méchant adopté en colère, bâtard ingrat, transrcial abductee.
Pour faire partie des adoptés en colère il n'est pas nécessaire d'être contre l'adoption, il suffit tout simplement d'exprimer des sentiments de douleur que l'adopté ressent par rapport à la perte des parents naturels, de la culture et la langue d'origine. Les adoptants blâment automatiquement les parents de ces adoptés même si ces derniers insistent sur le fait que leurs parents adoptifs leur ont donné tout l'amour et les soins nécessaires.
Au Canada et aux États-Unis, le mois de novembre est le mois de l'adoption, où on profite pour célébrer les familles adoptives ou pour promouvoir l'adoption.
En ce mois de l'adoption, j'aimerais exprimer ma gratitude et mon admiration envers les adoptés qui
*m'aident en m'écoutant ou en partageant leurs expériences.
*exposent la VÉRITÉ sur l'adoption, militent pour la réforme de l'adoption ou répondent patiemment aux attaques ou commentaires négatifs des parents adoptifs.
* partagent leurs sentiments en tant qu'adoptés ou répondent patiemment aux attaques des parents adoptifs.
* ont fondé des associations pour aider d'autres adoptés.
* ont fondé des associations pour protéger les droits des enfants et des femmes.
* ont fondé des groupes ou y participent afin de répondre et d'aider des parents adoptifs à accompagner leurs enfants.
* ont publié des livres.
Ma gratitude et mon admiration envers les adoptants et autres personnes qui ne font pas partie de la triade d'adoption ainsi que les professionnels qui n'aiment pas le mensonge, exposent la vérité sur l'adoption et militent pour la réforme.
Ma gratitude et mon admiration aux parents naturels qui partagent leurs expériences et militent pour la réforme.
3 commentaires:
bravo!ton site est super interessant!merci de parler de tous ces enfants volés dont on oubli souvent les familes biologiques.Je suis moi meme une enfant volée et qui se preoccuper du cauchemar de ma mère biologique durant 23 ans, avant que je ne la retrouve?encore bravo pour ton trvail.
Celine Giraud, volée puis adoptée au perou il y a 28 ans, présidente de la voix des adoptés, auteur du livre "j'ai été volée à mes parents" flammarion, 2007
Merci pour ton encouragement Céline.
Ton livre est sur ma liste des prochains livres à acheter.
Une amie qui fait partie de la voix des adoptés m'a parlé de ce groupe.
Je ne suis pas certaine, je crois que c'est là que j'avais vu le titre et le résumé de ton livre.
Bonsoir,
Bravo et merci pour ce précieux travail de recherche et de documentation.
J'ai déjà mis votre site en lien sur différents forums et groupes de paroles sur l'adoption si cela ne vous derange pas.
Tout futur parent adoptif comme moi devrait lire quelques-uns de ces articles, afin de pouvoir regarder son enfant dans les yeux plus tard, afin de ne pas avoir une vision trop angélique de l'adoption et afin de ne pas se prendre pour un sauveur.
Je peux vous assurer qu’à part quelques idiots irréductibles, ce n'est plus le cas aujourd'hui, je le lis tous les jours dans les forums. Ce sont les adoptants qui s'estiment avoir de la chance et éprouvent de la gratitude, c'est ce qu'on retrouve souvent.
Il y a cette question du "don" a l'orphelinat qui me gène énormément, je ne sais comment la résoudre encore. C’est au niveau des états qu’une aide devrait se faire, pas de la main à la main… Je me rejouis qu'en France les demarches individuelles pour adopter disparaissent peu a peu.
Ne sommes nous pas tous d'accord pour dire que la priorité est de permettre aux enfants de rester dans leur famille, ensuite d'être adopte dans leur pays d'origine, enfin par un étranger de la même origine, et en dernier lieu par un étranger. Ce n'est pas de moi, je l'ai lu quelque part (désolée je ne sais plus ou).
Votre parcours est difficile, trop. Je vous souhaite de trouver le pays (métaphorique ou non) ou vous pourrez poser vos valises et être vous-même, en toute confiance.
J’ose rêver qu’un enfant qu’on a du abandonner et qui a été adopte peut être heureux, en paix avec ses parents adoptifs et biologiques, en paix avec son pays d’origine et d’adoption…
Mes deux premiers enfants sont eurasiens, je veux croire aussi qu'ils se sentiront a l'aise avec leurs deux cultures. Mon mari, d'origine vietnamienne, lui se sent francais avant tout. Pourquoi pas?
Bon courage,
Nenette (France), en pleine reflexion pour son projet d'adoption
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