12 déc. 2008

Restitués à l'orphelinat

Traduction de l'article intitulé Devueltos al orfanato suivie par celui intitulé Las mil y una razones detrás del fracaso par Lola Galàn publiés sur le site El País, le 6 janvier 2008.

Restitués à l'orphelinat

Une adoption sur cinq débouche sur des situations dramatiques. - La bonne volonté ne peut pas toujours éviter la rupture.

Irina porte des noms espagnols (Précision hors traduction: tout Espagnol possède traditionnellement et officiellement deux noms de famille accolés, généralement celui de son père avec celui de sa mère. Et il se nomme dans la vie courante que par un seul, le dernier souvent. Picasso, Lorca, Zapatero... sont des noms de mamans) mais cela reflète seulement une légalité bureaucratique. Derrière, il n'y a ni foyer ni famille. Il y en a eu une pendant un temps, mais cela n'a pas fonctionné. La sienne est l'une des terribles histoires d'une adoption ratée. C'est un sujet dont on ne parle jamais, un sujet sur lequel pèse une sorte de tabou. Dans ce cas, c'est Irina qui a rejeté sa famille adoptive, mais elle ne s'en sent pas coupable. Elle avait seulement onze ans quand elle est arrivée en Espagne avec sa sœur, d'un orphelinat russe. "Je ne savais pas que je venais pour toujours. Je croyais que je pouvais retourner dans mon pays, là où vit ma mère. Les autorités nous ont séparées parce qu'elle buvait beaucoup mais on la voyait quand même de temps en temps". Ses premières paroles en espagnol furent "je veux retourner en Russie". Là a commencé un calvaire qui a pris fin dans un centre d'accueil espagnol plein d'enfants seuls comme elle.

L'histoire d'Irina (prénom fictif) est une tache dans les statistiques d'adoption internationale en Espagne, un phénomène qui a dépassé toutes les prévisions. Dans les dix dernières années, plus de 35000 enfants d'Europe de l'Est, de la Chine, du Népal, de l'Éthiopie, du Congo, de la Colombie, du Mexique et du Pérou ont trouvé un nid en Espagne. La plupart du temps, le refuge est chaud et confortable. Mais ce n'est pas toujours ainsi. Bien que le pourcentage d'adoptions ratées en Espagne soit encore très faible (autour de 1,5 %) Ana Berastegui, professeur de l'Université de Comillas et une des rares experts qui ont réalisé une étude empirique du sujet, a trouvé qu'une famille adoptive sur cinq "vit des situations très problématiques", au bord de la rupture.

Cette donnée, elle l'a obtenue en additionnant les cas de familles qui camouflent les tensions en envoyant les enfants en pensionnat dans les écoles et les cas de familles qui ne sont pas arrivées à digérer complètement l'adoption dans les quatre premières années de cohabitation, ce que les psychologues remarquent dans l'absence de "liens" entre parents et enfants. "L'adoption internationale est un phénomène récent ici. Quand les enfants atteignent à l'adolescence, il peut y avoir une crise si ces liens ne se sont pas forgés", dit Ana Berastegui.

"Les parents ont l'illusion ingénue que l'amour peut tout faire, mais il n'en est pas ainsi. Les enfants adoptés ont une histoire derrière, ils ont vécu l'adversité émotionnelle, et cela les marque", explique Jesús Palacios, professeur en psychologie évolutive de l'Université de Séville et expert en adoptions. Quand les problèmes surgissent il faut chercher de l'aide immédiatement. Sinon, il n'y aura pas de solution. Un mauvais pas laisse une trace pour toujours. Carmen Vilaginés, psychothérapeute et auteur du livre L'altra cara de l'adopció [La otra cara de la adopción] ( L'autre visage de l'adoption), s'est heurtée dans ses consultations avec des personnes détruites et au bord de la rupture. Elle en est arrivée à cette conclusion: " Toute personne qui adopte doit comprendre qu'il est nécessaire d'emmener l'enfant adopté chez le psychologue, tout autant que chez le dentiste".

Irina se souvient des nombreuses visites chez le psychologue qui n'ont pas arrangé ses problèmes. "Ma mère adoptive ne cessait pas de me reprocher que je voulais retourner en Russie, après tout ce qu'ils avaient fait pour moi. L'argent qu'ils avaient dépensé, les habits qu'ils m'avaient achetés, les jouets...Mais ils ne me laissaient jamais jouer avec... J'étais tout le temps en train d'étudier!"

Après une brève étape dans un centre d'accueil russe, elle est retournée en Espagne. "À mon retour, l'assistante sociale m'a demandé si je voulais retourner avec mes parents adoptifs ou vivre dans un appartement d'accueil avec d'autres enfants comme moi. Je lui dit l'appartement. Dans la maison de mes parents, je n'avais pas trouvé d'affection. Ils ne me laissaient même pas être avec ma sœur".

Les années ont passé. Irina, aux longs cheveux blonds et à la peau claire, a grandi dans des centres d'accueil d'un pays intialement étranger. Avec tout çà, elle ne se plaint pas maintenant. Elle a obtenu un brevet scolaire et a trouvé un travail où elle aide des personnes âgées qui ont des difficultés à bouger. "Ce qui n'est pas bon, c'est que je gagne seulement 600 euros". C'est peu de sous pour faire face aux frais d'une vie en solitaire, et quelques fois c'est bien décourageant. "Mieux vaut ne pas y penser" dit-elle dans un espagnol à l'accent sud-américain. Mieux vaut ne pas penser que tout aurait pu bien aller si ses parents avaient compris qu'elle était seulement une petite fille, un être incapable de cerner les conséquences de ses désirs. "Pourquoi ils ne m'ont pas compris?" se demande-t-elle. Le temps n'a pas cicatrisé les blessures. Les relations avec la famille adoptive n'ont pu se rétablir. "Le pire c'est que j'ai perdu ma sœur."

Lila Parrondo et Monica Orozco, psychologues du cabinet Adoptantis, qui conseille des parents adoptifs avec des problèmes, se sont heurtées à des cas semblables, des cas marqués par des désaccords déchirants. Les deux s'accordent à dire qu'un des problèmes le plus courant est l'obsession des parents à convertir des enfants arrivés de la Chine, de la Russie ou du Népal en enfants biologiques. "Tu voix comment ils réservent déjà une place à l'école pour l'enfant avant de l'avoir", dit Orozco "et là tu vois qu'ils ne se donnent même pas le temps de se connaître. Ils se refusent à accepter que cet enfant a besoin d'eux, qu'il vient avec l'expérience d'un abandon, et qu'il sera toujours différent des enfants biologiques". La vie se chargera alors de lui rappeler mille et une fois, quand il ira chez l'oculiste et qu'on lui demandera s'il a des antécédents familiaux pour sa myopie, ou quand à l'école, un professeur peu habitué insistera en répétant les sujets qui circulent sur son pays d'origine.

Le professeur d'université Jésus Palacios estime que dans quelques années le pourcentage d'adoptions ratées sera ici plus élevé, plus proche de celui des pays qui nous ont précédé sur ce chemin... Parce que l'adoption, dit-il, "est un gros pari sur quelque chose d'incertain", un pari que l'on peut perdre.

Quand Almudena P. (nom fictif) a compris cette réalité, il était déjà trop tard. Son conjoint l'avait quittée et elle était proche de perdre des amis scandalisés par sa décision d'abandonner sa fille adoptive aux autorités chargées des enfants mineurs. "Moi même, je ne me le suis pas entièrement pardonné", dit-elle. Il s'est passé beaucoup de temps depuis, mais elle a encore du mal a en parler. "Cela a été la pire expérience de ma vie. Beaucoup d'amis m'ont pointée du doigt, et les autorités m'ont accusée de frivolité, alors que ce n'est pas vrai. Je l'aimais beaucoup, j'ai essayé de la comprendre, mais je n'ai pas pu l'aider" dit-elle en contrôlant son émotion.

"J'avais 29 ans. J'étais obsédée par l'idée d'être mère. J'avais toujours eu l'idée d'adopter. Je me disais: pourquoi donner naissance à un enfant s'il y a des millions d'abandonnés dans le monde?". Almudena aurait préféré un bébé mais l'avocat qui traitait sa demande d'adoption lui a proposé Natalia, une magnifique fille de six ans internée dans un orphelinat de la Colombie. "Dès que je l'ai vue, je suis tombé amoureuse d'elle. Elle était si menue, si fragile... et avec des yeux si noirs". Les premières semaines ont été parfaites. Natalia était heureuse dans sa nouvelle maison espagnole avec sa propre chambre et de nouveaux vêtements. "Au début, elle semblait être une enfant obéissante jusqu'à ce que d'un coup elle a commencé à montrer un caractère terrible. Elle n'acceptait la moindre autorité, le moindre ordre. Elle avait de véritables crises de colère, elle se jetait par terre avec des convulsions identiques aux épileptiques mais elle n'avait rien, c'était de la pure colère".

Ainsi a commencé un calvaire de cinq ans. Almudena se plaint du fait que personne ne lui ait parlé des épines de l'adoption, qu'onlui ait seulement présenté un tableau tout rose. Miguel Gongora, président de la fédération d'associations d'aides à l'adoption (ADECOP), assure cependant que les ECAI (organismes de collaboration dans les adoptions internationales) s'occupent non seulement des contacts et des paperasses dans les pays d'origine des enfants, mais aussi de donner des cours aux parents et de les avertir des problèmes qu'ils peuvent rencontrer.

"Il n'y a pas d'altruisme dans l'adoption, mais un grand égoïsme", dit-il. C'est un processus long et épuisant, coûteux économiquement et émotionnellement, dans lequel, quelques fois, les attentes ne sont pas satisfaites. Almudena P. se souvient maintenant, en prenant un café, des pires moments de cette cohabitation entachée par cette tension permanente. "C'était comme si l'enfant n'avait pas de sentiments. Je ne me dis pas qu'elle me haïssait, mais elle ne supportait pas que les copains lui disent quelle jeune et jolie maman tu as !!! Selon les psychologues elle me voyait comme une rivale". A la fin Almudena, a jeté l'éponge. "Je me sens coupable, et cette culpabilité m'accompagnera toujours", reconnaît-elle consciente de ses erreurs.

"Un jour, en pleine crise, quand j'envisageais déjà d'abandonner la tutelle de Natalia, j'ai découvert entre la pile de documents d'adoption que j'avais signés presque sans lire un rapport horrible. Il racontait que la fille était la fille d'une prostituée de 16 ans, qu'elle avait vécu dans un bordel avec sa mère, et qu'elle avait été violée. Comment j'allais encaisser avec ma vie une créature qui en un peu plus de six ans avait subi plus de choses que moi en 29 ans ?"

De temps en temps, elle obtient de ses nouvelles. Elle sait qu'elle vit dans un pays latino-américain, qu'avec ses 20 ans elle est toujours aussi magnifique, et qu'elle continue de porter ses noms adoptifs. Légalement, elle est son héritière, sa fille. Elle le sera toujours. "Je suis en train de régulariser la situation avec mon actuel conjoint pour éviter qu'en cas d'accident elle puisse hériter de tout ce que j'ai. Je sais qu'elle ne l'utiliserait pas bien" dit-elle.

Irina n'attend pas d'héritage, mais elle croit que l'adoption est une bonne chose "Tant que les parents comprennent que leur enfant adoptif est né d'une autre personne, qu'il n'est pas venu au monde dans un avion, ni à Barajas (l'aéroport de Madrid), que c'est un être humain qui a eu une autre vie , qu'il a un passé". Un passé qu'elle ne veut peut-être pas oublier entièrement.

Les milles et une raisons d'un échec

Adopter est une entreprise qui demande une énorme motivation et une capacité à établir un lien indubitable avec l'enfant adopté. Le mécanisme de la coexistence est tellement complexe qu'une seule des petites pièces qui le composent peuvent détériorer fatalement la machine. Ce qui peut faire dérailler la machine est la conduite violente de l'enfant adopté; la distance énorme entre ce que les parents voulaient et ce qu'ils ont obtenu; une mauvaise motivation, comme celle de donner un petit frère à l'enfant biologique pour qu'il puisse jouer avec; prétendre combler un vide laissé par un enfant perdu, ou ne pas être préparé pour affronter les problèmes qui peuvent s'ajouter autour de toute adoption.

Une équipe d'experts se charge d'évaluer l'aptitude des aspirants. "Les choses se font avec beaucoup de sérieux. Il n'y a aucune frivolité dans ce processus", explique Montserrat Lapastorra, psychologue et membre depuis huit ans des "Relais d'intervention professionnels dans l'adoption Internationale (TIPAI) créés pour aider dans cette tâche la Communauté de Madrid. "Il y en a qui pensent que pour ces enfants, une famille imparfaite est mieux que de continuer dans un orphelinat, mais la question posée se trouve être entre une famille non adéquate et la possibilité d'en trouver une qui le soit". Lapastorra insiste sur le fait qu' "il ne s'agit pas de rejeter des gens parce qu'ils sont de mauvaises ou de bonnes personnes. Pas du tout. La seule chose que l'on évalue c'est la parentalité adoptive". Une sélection toujours imparfaite à celle qu'il faut ajouter, celle toujours plus exigente, des pays d'origine des enfants.

Note: traduit par Greg