25 mai 2010

Aussi rentable que le commerce de la drogue:

L'épidémie de trafic d'enfants de la Chine

Traduit de l'article As Profitable as the Drug Trade, publié sur le site Spigel Online, 21 mai 2010. Un article qui montre que le trafic de bébés et d'enfants en Chine ne profitent pas seulement aux adoptants de l'ouest, mais aussi à l'intérieur de la Chine...

La traite des êtres humains, incluant le vol et la vente d'enfants, est très répandue en Chine. La police est presque impuissante à l'arrêter, et la corruption facilite le commerce. Les parents désespérés joignent leurs forces pour chercher leurs fils et leurs filles. Mais leurs efforts sont souvent infructueux.

Guo Gangtang vend des gourdes de citrouilles séchées au centre commercial de Yiwu à Pékin. Les conteneurs jaunes sont imprimés avec des personnages historiques, des fées ou des aphorismes, des motifs que sa femme a trouvés sur Internet.

Son business ne va pas particulièrement bien, en partie parce que son stand est caché dans un coin arrière où le loyer est moins cher. Guo gagne rarement plus de 1000 yuans (environ 120€ ou 149$) par mois.

Par pitié, le propriétaire a récemment renoncé à son loyer. Le destin n'a pas traité Guo gentiment. Son enfant a été volé il y a 13 ans, et depuis lors, il a été motivé par un seul désir: retrouver son fils.

À chaque fois que l'homme de 40 ans a économisé assez d'argent, il attache deux drapeaux à la banquette arrière de sa mobylette et part à la campagne. Les drapeaux indiquent une photo d'un petit garçon, son fils Xinzhen.

Le jour où le monde s'est écroulé pour Guo et son épouse avait commencé comme les autres jours. Il vivait dans un village de la région côtière de la province de Shandong, où il travaillait comme chauffeur, transportant des matériaux de construction sur un tracteur. C'était le 21 septembre 1997. Son petit fils Xinzhen, qui avait deux ans et demi, jouait avec une fille du quartier en face de la porte de la maison quand une femme s'est approchée de l'enfant. La femme, une étrangère, caressait le visage du garçon avec une pièce de tissu, ont rapporté des témoins oculaires plus tard. Puis elle s'est tournée lentement vers la rue, qui était à environ 100 mètres (328 pieds) de là.

«J'ai immédiatement senti que quelque chose était arrivée à Xinzhen»

Le petit garçon doit l'avoir suivie. C'était comme s'il s'était évanoui dans les airs. «Quand je suis rentrée, il y avait une foule devant ma maison», se rappelle Guo. «J'ai immédiatement soupçonné que quelque chose était arrivée à Xinzhen.»

Guo a couru au poste de police. Les voisins l'ont aidé à chercher son petit garçon. Lui et sa femme ont dépensé beaucoup d'argent au cours des prochaines semaines. Ils ont affiché des pancartes sur les lampadaires, ont fait imprimé des prospectus et ont payé des aides l'équivalent d'environ un euro par jour pour chercher l'enfant dans les villages environnants.

Guo a vite commencé à chercher plus loin. «J'ai été dans toutes les provinces, sauf le Tibet, Taiwan, le Qinghai et la Mongolie intérieure», dit-il. Les journaux et les stations de télévision ont repris l'histoire et ont fait un reportage sur son malheur.

Le vol d'enfants est un problème commun dans la République populaire, ce qui explique pourquoi les grands-parents ou les parents viennent chercher les enfants à l'école dans tout le pays. Ils sont déterminés à ne pas rendre la tache plus facile pour les trafiquants d'êtres humains.

C'est l'un des aspects les plus tristes de la Chine moderne. Les experts estiment qu'entre 30 000 et 60 000 bébés, enfants et adolescents, disparaissent chaque année. Ils sont enlevés puis vendus,et finissent souvent comme esclaves dans des ateliers et des briqueteries, ou sont forcés de travailler dans des bordels.

«Ils m'ont demandé si j'avais un enfant à vendre»

Sur le chemin vers l'acheteur, le trafiquants d'êtres humains mettent souvent les enfants enlevés sous sédatif pour les empêcher de crier. Parfois, ils ne survivent pas à leur épreuve, comme en témoignent les rapports périodiques des médias sur des enfants retrouvés morts dans les autobus ou les trains.

Le 30 novembre 2008, 11 ans après la disparition de Xinzhen, Baotong âgé de deux ans, jouait dans une ruelle en face du bâtiment de ses parents, dans la ville côtière de Lianyungang. Son père, Li Shouquan, fabriquait des chaussures de sport dans sa petite usine et les vendait dans le couloir de son immeuble.

Il y avait une foule de clients dans la cour ce jour-là. Un homme qui rôdait inaperçu près du mur a soudainement attrapé le petit garçon et est parti, en ne laissant derrière lui que quelques mégots de cigarettes sous un minuscule arbre.

Li pensait que son fils se trouvait quelque part dans les pays voisins de la province de Shandong. «Il y a un marché d'enfants dans la ville de Tanshan», lui a dit un policier. Quand il a commencé à regarder autour de l'un des villages voisins, les résidents l'ont pris pour un trafiquant d'êtres humains. «Ils m'ont demandé si j'avais un enfant à vendre et combien je voulais pour l'enfant», rapporte-t-il. A leurs yeux, la traite des êtres humains n'est pas criminelle, mais elle fait en réalité partie d'une tradition en Chine.»

«Donner naissance à des enfants au lieu d'élever des porcs»

Les garçons sont particulièrement importants dans les villages. Cela a longtemps été une tradition dans les zones rurales pour les descendants mâles et les belles-filles de prendre soin des parents âgés.

Mais les acheteurs pour les enfants volés se trouvent également dans des villes comme Pékin ou Shanghai. Beaucoup de Chinois veulent désespérément un bébé, mais sont incapables de concevoir un enfant. Les adoptions sont compliquées, et la plupart des enfants qui sont remis à des orphelinats maintenant sont handicapés.

La politique de l'enfant unique de Pékin ne fait pas obstacle au business. Au contraire, les familles qui ont déjà un enfant, achète parfois un autre fils ou fille. C'est une activité lucrative pour les ravisseurs, qui peuvent charger jusqu'à 4 000€ pour un garçon et habituellement environ la moitié pour une fille. Ils proposent parfois même des offres spéciales pour les clients moins fortunés, vendant des bébés pour aussi peu que 80€.

La police a créé une force spéciale pour lutter contre les enlèvements d'enfants et de femmes, et l'unité démantèle des réseaux de trafic d'humaine à chaque année. Mais selon les statistiques officielles, en 2009, la police n'a réussi à sauver que 3 400 enfants des griffes des marchands et des acheteurs. Dans de nombreux endroits, un enfant est considéré disparu au bout de 24 heures. D'ici là, les ravisseurs ont généralement disparu depuis longtemps.

«Personne ne pose de questions»

Des parents désespérés organisent plusieurs fois des manifestations contre la passivité de la police. Une protestation a eu lieu dans la ville méridionale de travailleurs migrants de Dongguan, où près de 1 000 enfants ont disparu, entre 2008 et 2009. La police locale a répertorié seulement 200 victimes dans leurs dossiers. Ils ont rejeté les autres cas, en faisant valoir qu'il n'y avait pas de preuve qu'un crime ait été commis.

Les chances de retrouver un enfant enlevé sont minces. Les clans de familles contrôlent souvent les choses dans les villages, et «ils sont comme larrons en foire», dit le cordonnier Li. Les autorités locales font partie du système, y compris les représentants des organisations de femmes, les chefs de parti et les agents de la police locale. «Tout le monde sait quand un nouvel enfant est arrivé tout d'un coup dans le village, dit Li, «et personne ne pose de questions.»

Et puis il y a la corruption, faille fondamentale de la Chine, sans laquelle la traite des êtres humains sur une si grande échelle ne serait pas possible. Lorsque les choses sont faites selon les règles, chaque enfant doit être enregistré auprès des autorités compétentes, ce qui ne devrait pas en effet être possible sans un certificat de naissance et autres documents. Mais avec les bons contacts et un bon pot de vin pour les fonctionnaires, cet obstacle est facilement surmonté.

Ce n'est pas seulement des gangs sans scrupule qui se livrent à la traite des personnes comme on pourrait s'y attendre, mais parfois les parents eux-mêmes. Certains agriculteurs sont si pauvres qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas nourrir une autre bouche, et ils vendent leurs nouveau-nés à la place. Pour d'autres, donner naissance et vendre les bébés est une source de revenu supplémentaire, et plus lucrative que le dur labeur des champs. Il y a un dicton chez les agriculteurs dans la province sud-ouest du Yunnan: «Si vous voulez gagner de l'argent, vous devriez donner naissance à des enfants au lieu d'élever des porcs

«L'occasion s'est présentée d'elle-même»

À Lushan, à 300 kilomètres à l'ouest de Lianyungang, M. Wang est assis sur un canapé en imitation cuir. Un jeune homme attrayant, il travaille comme enseignant de mathématiques à l'école moyenne. Il est actuellement assigné à une école de village dans les montagnes. Lui et son épouse, qui est aussi une enseignante, admettent qu'ils ont acheté un enfant.

L'enseignant ne veut pas donner son vrai nom. Sa famille, qui est rassemblée autour de lui, se méfie des journalistes. Toutefois, selon la loi chinoise, ce que M. Wang a fait n'est pas un crime. Seuls ceux qui vendent des gens peuvent être accusés d'un crime, mais pas ceux qui les achètent.

Néanmoins, le cas le met sous un mauvais jour, en tant qu'éducateur qui est censé servir de modèle pour la société. M. Wang se décide à parler. Il veut montrer que lui aussi est une victime. «Après que nous nous ayons eu notre garçon, nous voulions un deuxième enfant», dit-il. «Nous aimons les enfants. Et quand l'occasion s'est présentée, nous l'avons saisie

Cette occasion s'est présentée à l'Hôpital populaire dans la rue principale. Un parent avait entendu dire que la mère voulait vendre son nouveau-né, parce qu'elle était trop pauvre pour nourrir l'enfant. A l'heure dite, M. Wang a rencontré un homme sur les marches de l'hôpital, l'enseignant croyait qu'il était le père. L'homme tenait le bébé dans ses bras. «Nous lui avons donné plus de 10 000 yuans (environ 1 200€)», dit Wang.

Le bébé était petit et maigre, mais les nouveaux parents ont utilisé du lait en poudre pour aider l'enfant à prendre du poids. «Il y avait des moments où nous pensions que le bébé ne réussirait pas», dit la mère de l'enseignant.

«Elle ne me reconnaît plus»

Un album de photos de la fête du premier anniversaire du bébé est sur la table basse. Elle semble être une petite fille heureuse, portant un petit chapeau de soleil sur une photo et des lunettes de soleil sur une autre, ou tenant un téléphone portable à la main.

Mais le nouveau bonheur de la famille a été de courte durée. Un jour, des agents se sont présentés à la porte. Ils étaient de la police du chemin de fer de la province du Guizhou. Quelques jours plus tôt, ils avaient remarqué deux hommes louches voyageant avec trois petits enfants dans un train pour Pékin. L'un d'eux a avoué avoir vendu un bébé à Wang, l'enseignant. L'épouse du marchand de bébés travaillait apparemment comme infirmière à l'hôpital de Lushan et avait organisé la transaction.

Les policiers de chemin de fer a enlevé la petite fille des Wangs et l'a emmenée dans un orphelinat de Guizhou. Parce qu'il n'y avait aucune information sur l'identité et le lieu de la mère de la petite fille, elle vit à l'orphelinat depuis septembre dernier.

L'enseignant appelle cela scandaleux, disant qu'il souhaite garder la jeune fille jusqu'à ce que les vrais parents soient trouvés. «J'ai visité l'enfant à l'orphelinat. C'était terrible. Elle ne me reconnaît plus. Elle a régressé, et maintenant elle ne parle plus.»

La plupart des enfants enlevés qui sont trouvés, ou dont on cherche à retrouver leurs parents réels, souffrent de destin semblable à celui de la fille achetée des Wang. Il est rare que la police réussit à trouver les vrais parents. L'année dernière, lorsque la police a publié des photos de 60 enfants secourus sur un site web, seulement sept de leurs proches se sont manifestées.

Pendant ce temps, plus de 230 laboratoires à travers le pays ont analysé l'ADN des parents et des enfants secourus. Le gouvernement paie le coût des tests, soit environ 200€ par test. Plus de 20 000 échantillons ont déjà été recueillis, trop peu nombreux pour être en mesure de réunir les familles de manière efficace dans un pays aussi énorme.

En conséquence, beaucoup de gens n'apprennent jamais que les personnes qui les ont élevés ne sont pas leurs parents biologiques. Pour améliorer les chances des mères et des pères de retrouver leurs enfants, des groupes privés ont créé des sites Web qui permettent aux parents de chercher les enfants disparus.

Des cartes à jouer avec des photos du disparu

La musique de Kenny G jouant à la clarinette le classique de Frank Sinatra I Did it My Way sort des haut-parleurs de la gare principale de Chongqing, une ville sur le fleuve Yangtze, dans la Chine centrale. Une douzaine de personnes, la plupart des jeunes, tiennent une bannière pour que les voyageurs la voient. On y lit: «Joignez la campagne des bénévoles de Chongqing pour trouver des membres de familles.»

Shen Hao, 41 ans, un spécialiste en informatique de la province d'Anhui, a lancé la campagne. Il y a neuf ans, il a décidé de se consacrer au sort des personnes disparues, après avoir lu un article de journal au sujet de trois jeunes filles qui avaient disparu. Depuis lors, il a voyagé à travers les grandes villes de la Chine, distribuant aux passants des cartes à jouer avec des photos des disparus.

La dame de cœur, par exemple, représente Wang Yafeng, née le 20 avril 1987 dans la Mongolie intérieure. Elle est portée disparue depuis le 7 octobre 2008. Selon les minuscules caractères chinois sur la carte, elle a un «nez large» et «une cicatrice sur l'index de la main droite», et «elle parle chinois sans dialecte».

Le neuf de pique représente une image floue d'un jeune homme qui est né «vers 1984». Il est à la recherche de ses parents biologiques. «Enlevé entre mai et septembre 1990», écrit-il. Il se décrit comme étant un enfant avec «de grands yeux et un petit nez», et note qu'il mesure maintenant 1,76 mètres et porte des chaussures de taille 41.

Il écrit que, aussi loin qu'il se souvienne, il vient d'une ville, peut-être dans la province du Hunan, ou peut-être Chongqing. «Il y avait des marchés des deux côtés de la rue. Mes parents portaient des uniformes.» Il se souvient que des étrangers l'ont emmené à la province côtière de Fujian dans un bus.

Les cartes donnent également des conseils sur la façon de rendre plus difficile pour les trafiquants de voler des enfants. L'une des recommandations est de «toujours garder les enfants à portée de vue». Une autre est d'avoir ses enfants tatoués afin qu'ils puissent être identifiés plus facilement plus tard.

«Environ 800 personnes ont été en mesure de trouver leurs parentés avec l'aide de notre site Web et les cartes», dit fièrement le militant Shen. Il a déjà imprimé 16 000 cartes à jouer. Il est vêtu d'un parka vert et a les cheveux hérissés. Une femme qui vient de s'approcher de lui dit que son fils de 13 ans est disparu depuis plusieurs jours. A moins qu'il ne se présente bientôt, le garçon va apparaître dans le prochain lot de cartes de Shen.

«Je ne le forcerai pas à revenir»

Shen, qui ne reçoit pas d'argent du gouvernement, paie pour sa campagne avec ses propres fonds, des contributions des familles et des dons de compagnies. L'autorité de la Chine se méfie des organisations à but non lucratif comme la sienne. Néanmoins, on lui fournit des assistants au cours de ses voyages à travers le pays. «L'enlèvement d'enfants, dit Shen, est un problème mondial. C'est une activité extrêmement rentable, comme le commerce de la drogue.»

C'est au début de mai, et Guo, le vendeur de gourdes, est au volant de sa motocyclette «Haojue» rouge, le long de la route 106 dans la province du Hubei, en direction de Wuhan, une grande ville sur le fleuve Yangtze. Son casque d'argent, ses jeans, ses chaussures de tissu et genouillères sont enveloppés dans les nuages de poussière soulevée par les camions, et son menton est couvert de barbe de plusieurs jours. Il a couvert les 4 000 km dans les deux dernières semaines. «Je veux aller dans les villes où je ne suis pas encore allé», dit-il.

Quand il s'arrête pour prendre une pause dans un petit restaurant en bordure d'une route, quelques habitants locaux regardent les drapeaux sur sa mobylette. «Mon enfant a été enlevé», explique Guo. Quand il rencontre des gens ayant le même sort, il leur raconte ses expériences. «Il y a un site internet de la police, dit-il, et vous pouvez passer un test d'ADN.»

Il a récemment vu une photo d'un gamin en haillons dans un journal. Le garçon avait l'air de ressembler à son fils. Il est allé rapidement à la ville, mais le garçon n'était pas le sien. Guo et son épouse ont deux autres fils, âgés de 12 et 3 ans.

Et s'il trouvait Xinzhen après ces années, possiblement dans une famille intacte? «Je ne le forcerais pas à revenir à nous», dit Guo. «Je veux juste savoir qu'il est bien.»

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