3 sept. 2008

Contraindre une mère à abandonner ses enfants, ce n'est pas nouveau

Trafiquer des dossiers d'enfants pour les placer en adoption, ça ne date pas d'aujourd'hui. Contraindre des parents à abandonner leurs enfants, ce n'est pas nouveau

Mon adoption a eu lieu en 1975 et pourtant, elle est basée sur des mensonges. J'avais 8 ans lorsque j'ai été emmenée dans un orphelinat (par la police), j'étais assez grande pour connaître les noms de chaque membre de ma famille (mon père, mon frère, mes sœurs, mon beau-frère, mon neveu et ma nièce); je connaissais même le nom de ma mère qui est décédée lorsque j'avais 6 ans. J'étais assez vieille aussi pour connaître l'adresse de l'avant dernière maison où j'avais vécu avec toute ma famille. Mon père et l'une de mes sœurs m'avaient fait répéter mon adresses des dizaines de fois au cas où je me perdrais. Par contre, je n'avais pas eu le temps d'apprendre l'adresse de la nouvelle maison où je vivais avec mon père. À chaque lieu où j'ai passé (station de police, premier orphelinat et deuxième orphelinat), j'avais donné cette adresse en spécifiant que je saurais retrouver ma maison si on m'y emmenait là et qu'en plus ma sœur aînée habitait à quelques pas de là. Les deux orphelinats m'avaient promis de "chercher ma maison très fort" mais ils ne l'ont jamais fait. Et moi, je leur avais fait confiance car je croyais que c'était très difficile de trouver une maison. Lorsque les gens de Holt étaient venus me questionner à l'orphelinat, j'étais la seule à connaître ma date de naissance et je leur aussi donné certaines informations me concernant, mais mon dossier d'adoption et mon historique social indiquent seulement "abandoned, father unknown, mother unknown" (abandonnée, père inconnu, mère inconnue) avec une fausse date de naissance (pour détails, voir le blog "Les mensonges derrières mon adoption".

L'industrie de l'adoption a effacé mon passé légalement mais elle n'a pas réussi à l'effacer de ma mémoire. Si j'avais été adoptée bébé, les mensonges auraient passé inaperçus.

Je ne me base pas seulement sur mon expérience personnelle pour dire ça ne date pas d'aujourd'hui. D'autres adoptés ont découvert après une réunion avec leurs familles biologiques qu'ils avaient été soient kidnappés (voir histoire de SunnyJo) ou qu'ils avaient perdu leurs parents dans un lieu public (voir article sur Toby Dawson). Et bien sûr, ces deux exemples ne sont pas des cas uniques, pour le savoir on n'a qu'à aller dans des forums des adoptés adultes.



Orphelinat Saint-Paul, été 1975


Cette photo avait été prise par une Américaine qui a adopté deux sœurs (qui ne sont pas sur la photo). Ces filles avaient un frère aîné (c'est la plus âgée des deux qui me l'avait dit un jour) qui allait souvent les visiter lorsqu'elles étaient à l'autre orphelinat (elles étaient arrivées après moi, du même orphelinat que moi).

Je me trouve à droite de la photo, levant ma main derrière mes amies.

Celle qui se trouve à l'avant de moi à ma droite, était arrivée à l'orphelinat avec sa petite sœur. Je les trouvais belles parce que les deux filles avaient leurs cheveux tout bouclés avant de se faire couper les cheveux suite à une vague de chaleur, de plus, elles étaient bien habillées à leur arrivée à l'orphelinat. Pendant l'été, mes amies et moi avons vu sa mère en train de lui parler devant la porte de la cour. La mère lui avait dit d'aller chercher sa petite sœur. Une fois réunies, nous les avions vues quitter l'orphelinat. Nous étions très excitées et nous étions entrées en criant: "Elles sont parties! Elles se sont enfuies de l'orphelinat!" Les religieuses et le directeur ont couru après elles et les ont ramenées à l'orphelinat. Ils se sont enfermés dans le bureau avec la mère. Pendant ce temps, nous avons attendu curieuses et impatientes de savoir ce qu'ils se disaient. À la fin de la journée, ils sont enfin sortis du bureau mais la mère est partie seule, sans les deux filles. J'ai été triste pour ces filles mais j'ai été encore plus triste lorsque la dame a emmené sa troisième fille, plus jeune que les deux autres. Je ne comprenais pas pourquoi la mère qui était venue à l'orphelinat uniquement pour reprendre ses filles était partie sans elles. Je comprenais encore mois pourquoi elle avait emmenée sa troisième petite fille. Ces trois filles ont-elles été adoptées? Je ne saurais répondre car j'ai quitté l'orphelinat avant elles.

Certaines étaient placées à l'orphelinat temporairement. C'était le cas pour ma meilleure amie (âgée d'environ 4 ans de plus que moi). Sa sœur aînée venait souvent nous visiter, de plus sa mère travaillait pour les religieuses dans le bâtiment qui se trouvait sur le terrain de l'orphelinat.

Il y avait aussi deux autres filles (des sœurs), plus âgées que moi, qui avaient une mère. Quelques semaines avant les vacances scolaires, leur mère les a reprises. J'étais jalouse car j'espérais que mon père vienne me chercher même si j'étais heureuse à l'orphelinat.
Les filles qui fréquentaient l'école nous rapportaient de leurs nouvelles. Elles devaient prendre le train pour se rendre à l'école car leur mère voulait qu'elles terminent l'année scolaire dans la même école et elles étaient très heureuses de vivre avec leur mère. Cependant, j'ai entendu une conversation entre une religieuse et notre gardienne. La religieuse lui disait qu'elle avait essayé de convaincre la mère de laisser ses deux filles à l'orphelinat. "Je lui ai dit qu'elle vivrait mieux sans les filles. Elle ne voulait rien savoir, elle est entêtée et stupide. Elle voulait absolument reprendre ses filles..." disait-elle. En entendant cette conversation, j'ai été troublée. Pourquoi la religieuse voulait-elle convaincre une mère de vivre sans ses filles? Je ne comprenais pas pourquoi la religieuse avait essayé de convaincre une mère de laisser ses enfants.

J'ai aussi été témoin d'histoires semblables à mon premier orphelinat. Ce n'est que rendue à l'âge adulte que j'ai pu décrire avec des mots ce qui était arrivé à ces mères et leurs enfants: "ces mères ont été contraintes d'abandonner leurs enfants pour pouvoir les faire adopter par des étrangers".

Certaines s'étaient perdues. Un jour, une religieuse avait emmenée une petite fille (qui devait avoir environ un an de moins que moi). La religieuse l'avait trouvée pleurant seule dans la rue parce qu'elle venait de perdre sa grand-mère. Était-elle perdue ou abandonnée? Ça, c'est une question qu'on ne posait même pas. Cette fillette, tout comme moi, a été placée en adoption.

On ne faisait aucune tentative pour retracer les familles des enfants avant de les placer en adoption mais je ne le savais pas. Je croyais qu'ils cherchaient ma maison parce qu'ils me l'avaient promis.

D'autres étaient abandonnées parce que leurs parents étaient trop pauvres.

Nous étions appelées des orphelines mais nous avions tous une parenté (un père ou une mère, sinon un oncle ou une tante, parfois même un frère aîné ou une sœur aînée) qui auraient pu prendre soin de nous. Il ne leur manquait que l'argent.

L'argent que les généreux adoptants utilisaient pour nous acheter adopter aurait pu nous permettre de vivre avec nos familles (biologiques) mais les adoptants préféraient posséder un enfant plutôt que d'aider à préserver une famille sauver un enfant de l'orphelinat.

Ça, c'était en 1975. Aujourd'hui, en 2008, ça n'a pas changé.

"C'est mieux qu'un enfant vive dans une famille que dans un orphelinat" disent-ils. "Tout enfant a le droit à un foyer" disent-ils... On ne fait rien pour préserver les foyers existants et on continue à alimenter les commerces d'enfants en adoptant les enfants des autres (exemple1, exemple2, exemple3, exemple 4,...)

Adoption légale ne veut pas dire adoption éthique...

Et adoption éthique? Tous les individus ont une définition différente du mot "éthique". Pour certaines gens, adopter un enfant dont les parents ont renoncé "volontairement" à leurs droits parentaux à cause de la pauvreté est tout à fait éthique. Dans ma définition à moi, ce n'est pas éthique. Des adoptions éthiques, c'est très très rare.


L'adoption n'est pas la meilleure solution. Dire qu'on adopte parce que c'est mieux qu'un enfant vive dans une maison qu'à l'orphelinat, c'est un argument hypocrite. Avec le même montant dépensé en adoption, il serait possible de préserver plusieurs dizaines de familles ou même de sauver un village entier.

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